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Taxé de pétainisme, Pernaut ricane...
« Je me souviens du travail de Michel Le Guenic. Il me l'a envoyé. Je n'ai pas réussi à le lire jusqu'au bout ; j'ignorais qu'on en ait tiré un livre. Cette thèse traitait essentiellement, je crois, de la séquence culture et tradition régionale du JT : soit dix minutes sur quarante - quand une actualité forte ne m'oblige pas à les supprimer. C'est peu pour m'accuser globalement de pétainisme. Mais, depuis les Guignols de Canal, j'ai l'habitude...
Ça me semble pourtant un contre-sens : si j'étais vraiment de droite, comme on le dit, donc partisan d'un Etat fort, je ne m'intéresserais pas aux cultures régionales, ces contre-pouvoir. D'ailleurs, à l'heure des régionales, on se rend compte que ces fameuses régions intéressent tous les partis, de droite comme de gauche. Lorsque Jack Lang prône la défense des langues régionales, pourquoi ne l'accuse-t-on pas, lui, de pétainisme ? En plus, la France des régions est pour moi le fer de lance d'une France européenne : Toulouse est plus proche de Barcelone que de Bordeaux. En parler, c'est donc fabriquer l'avenir. Mais "Pernaut facho", c'est facile, ça rime. »
Labourage et belles images
Quand un jeune historien décrypte le journal de Jean-Pierre Pernaut et ses chromos de "nos régions", il constate : la France de JPP n'a pas pris une ride depuis les années 40.

Dans la grande famille du JT de 13 heures sur TF1, je voudrais « Le maréchal-ferrant ». Bonne pioche, car voilà bien l'un des reportages typiques, comme l'on dit dans les guides touristiques, de la partie magazine du JT pernautien. Un classique du genre, recyclable et inusable. Mais vous avez aussi « La fête des confitures », « Les olives vertes », « Le fromager ambulant », « La pêche dans le Marais poitevin », « La feria des vendanges », à ne pas confondre avec « La fête de la dernière vendange », ni avec « Les vendanges à Cascastel »... A moins que vous ne préfériez - mais là, on entre dans la catégorie des crus millésimés - « Les châtaignes corses », un record absolu inégalé à ce jour : sept minutes et quarante-six secondes de reportage. Une éternité en télévision, où l'on apprend - extase de la France éternelle vue par le 13 heures - qu'« ici, le progrès n'est pas arrivé ». Car, chez Pernaut, le progrès est mauvais par nature et la tradition, bonne par principe.

Tous ces sujets de « culture régionale » (le petit lexique de Pernaut proscrit le mot folklorique), répétés en boucle depuis plus de quinze ans, alimentent, une fois expédiées les infos du jour, la partie magazine du JT de 13 heures. Quinze bonnes minutes de « bien belles images », dixit le présentateur, sourire épanoui, tête légèrement penchée. Un univers en soi qui méritait bien qu'un universitaire s'y penchât. C'est fait. Michel Le Guenic, un étudiant breton de Lorient - donc non suspect d'«intello-parisianisme », la bête noire de Jean-Pierre Pernaut -, s'est attelé à la tâche : vingt-six semaines fidèle au poste, de juillet 2000 à janvier 2001, l'étudiant en histoire a magnétoscopé, analysé, minuté, cartographié la partie magazine de ce JT aux sept millions et demi de téléspectateurs (qui écrabouille celui de France 2).

Le fruit de cette collecte, publié chez un modeste éditeur niçois (1), vaut le détour. Ce mémoire de maîtrise (gratifié d'un 18/20) se lit comme un essai passionnant. A la brutale question de départ - « Nos régions » selon Jean-Pierre Pernaut, Pétainisme ou pittoresque ? -, Michel Le Guenic conclut que, du 13 heures de TF1, suinte certes un « national-traditionalisme » mais surtout que ce JT-là « s'est arrêté avant la révolution industrielle » ! Et l'étudiant en histoire, spécialiste de la IIIe République, d'affirmer, exemples à l'appui, que « le présentateur nous renvoie bien souvent plus de cent ans en arrière, au moment de l'apogée de la culture paysanne. »

Jean-Pierre Pernaut, rappelons-le, n'est pas un simple présentateur mais le patron de son journal : il en maîtrise le contenu de A à Z. Rappelons encore qu'il est originaire d'Amiens, et avance sans cesse ses racines picardes comme un brevet d'authenticité. Son « label rouge » de l'information, en quelque sorte. Quand il part en vacances, il visionne ces fameux sujets « régions » à l'avance et laisse les clés à quelqu'un de confiance. Quand c'est Jacques Legros, Pernaut est totalement rassuré : « Avec Jacques Legros, qui est du Touquet, on n'est pas dépaysé ; pour moi, il est de Picardie, ou presque », a-t-il confié à Michel Le Guenic. Car, après six mois de visionnage, l'étudiant a enfin rencontré Pernaut. Celui-ci lui a accordé un long entretien, qui s'est d'ailleurs fort bien déroulé. Des extraits de cette interview - d'où il ressort que le journaliste et son JT ne font qu'un - sont cités tout au long de l'ouvrage.

Alors à quoi ressemble la France de Jean-Pierre Pernaut ? Les villes - et plus encore les banlieues - sont quasiment absentes du 13 heures de TF1, note Michel Le Guenic. La France des régions, pour Pernaut, c'est la France des campagnes. La campagne, vue comme l'espace de la vie saine et des « vraies valeurs ». Endroits sauvegardés, mondes sauvages, îles bénéficient aussi de toute l'attention de ses reporters. Car, dans les sujets magazine du 13 heures, « tout se passe comme si le progrès était la faute qui avait chassé l'homme du jardin d'Eden ». Bref, de reportage en reportage, on est à la recherche du bon vieux temps perdu. Le passé est rassurant. L'avenir, par nature, fait peur.

Au 13 heures, on aime les hommes qui travaillent dur, boulangers, bourreliers, pipiers, etc., et plus encore ceux qui transmettent leur métier « de père en fils », formule maintes fois répétée. Ainsi la valeur familiale se décline-t-elle sur tous les tons ; et chez Pernaut, elle est plutôt du genre masculin. Gros plans sur les mains calleuses et les visages burinés font partie de l'esthétique maison, tout comme les paysages carte postale. Chez Pernaut, il n'est pas rare de voir apparaître un coucher de soleil en arrière-plan. Le tableau doit être « joli, rustique, légèrement poussiéreux », conclut le mémoire.

De quoi dessiner un pays fragile qui doit se protéger du déferlement culturel américain (un sujet, par exemple, dénonce Halloween). Mais cette « France des fromages qui puent », comme disent les Guignols, a tout à craindre, aussi, de l'Europe : « La nation n'existe plus puisque, avec l'Europe, elle explose. Plus de monnaie, plus de frontières, il reste encore un drapeau, une langue, mais bon... », soupire Pernaut. France fragile, peut-être, mais toujours une et indivisible. Le 13 heures de TF1 aime les régions, mais pas les discours régionalistes ! L'important est de montrer de « belles choses », surtout de ne pas faire débat. Même la corrida, chez Pernaut, ne divise pas le public. « Elle ne choque ici personne », affirme le journaliste dans un sujet tourné dans des arènes du Sud... Enfin, règne dans nombre de reportages « une sorte d'esprit religieux. Tout a une âme. On insiste sur ce qui est mystérieux, magique, inexpliqué », note Michel Le Guenic. Une certaine France pleine de religiosité, plus superstitieuse que croyante, y a la peau dure.

Deux cent cinquante journalistes à Paris, soixante-cinq en régions épaulés par soixante-dix cameramen : avec de tels moyens, TF1 a de quoi quadriller, c'est vrai, le territoire ! Les cartes de répartition des reportages, département par département, montrent pourtant une prédilection du 13 heures pour quelques régions à haut potentiel folklorique, selon la vision maison : Pays basque, Corse, Finistère, Alsace, les chouchous de Pernaut portent haut la coiffe, le béret ou les sabots.

Avec subtilité, Michel Le Guenic analyse les soubassements idéologiques de ce 13 heures : un peu de Maurice Barrès par-ci (tradition, importance et vénération de la terre), une pincée du Charles Maurras de l'Action française par-là (l'idée que la France doit retrouver sa grandeur passée, le sens de la famille et du corporatisme) et beaucoup de Charles Brun, le fondateur, en 1900, du seul mouvement régionaliste qui ait eu une audience nationale.

Mais tout cela pour quoi ? Au service de qui ? se demande l'historien : ce JT « favorise incontestablement le discours conservateur. Pernaut sert plutôt les mouvements d'une droite qu'on pourrait qualifier de nationale, conservatrice et néolibérale. Mais la seule logique qui compte vraiment à TF1, entreprise capitaliste par excellence, est celle du marché. L'Audimat est le seul véritable objectif ».

Car le 13 heures de TF1 est taillé sur mesure pour un public de personnes âgées, en majorité rurales ou habitant de petites villes : 8 millions des téléspectateurs réguliers habitent des agglomérations de moins de 100 000 habitants, 43 % sont des retraités, 6 millions ont plus de 59 ans. « Si la formule n'intéressait pas les gens, conclut le présentateur en bon commerçant, on ne la ferait plus. »

On ne change pas une équipe qui gagne. Soit. En attendant, tous ceux qui aiment le bon pain à l'ancienne, les galettes de Pont-Aven, le marché de Noël de Kaysersberg, mais pas la messe traditionaliste quotidienne de Jean-Pierre Pernaut, pourront méditer sa conception de la mondialisation de l'information : « Si j'ai envie d'avoir des nouvelles sur Israël, je me branche sur une chaîne israélienne. Si je veux des infos pointues sur les élections américaines, je me branche sur CNN. Et si les Japonais et les Américains veulent avoir des informations sur les vendanges, ils viennent voir le journal de TF1. »

Thierry Leclère et Fabienne Pascaud


Télérama n° 2820 - 29 janvier 2004
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